Nicolas Guépin
auteur
Dramaturge - Poète - Parolier

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Hébéphobie

Une salle des profs dans un collège ordinaire. Un tuyau se met à fuir et le gaz qui en sort semble transformer les enseignants qui le respirent. En effet, ils veulent désormais se débarrasser des élèves et fomentent un plan d'attaque. Les quelques professeurs non touchés tentent de résister et de guérir tout ce petit monde.

Une comédie écrite pour des adolescents afin qu'ils jouent les adultes qu'ils côtoient le plus, les enseignants et ce dans cet environnement si mystérieux qu'est la salle des profs. Des personnages loufoques et imparfaits qui se débattent au sein de cette épidémie de haine des jeunes. Grande troupe. Rôles équilibrés et non genrés.

14 personnages

1h15

Extrait 1

salle des profs. L est là, debout, immobile, regardant par la fenêtre. J, I et F arrivent et ne le voient pas. J en fermant la porte.
J : On ne court pas dans les couloirs !
La porte est fermée.
I : Ah, putain !.. Une heure de tranquillité putain.
J : Tu n'as pas des interros à corriger ?
I : Ah putain si ! Mais c'est pour demain ; je ferai ce soir. Ou demain matin. Maintenant rien, juste rien putain.
J : Et pourquoi tous ces putains ?
I : Je me lâche ici pour pas qu'il y en ait un qui m'échappe en cours. Et c'est pas évident putain !
J : Vrai. Tu ne te lâche pas chez toi plutôt ?
I : Avant si mais avec le petit qui apprend à parler et qui répète tout, c'est impossible. Andréa me fait la gueule au moindre écart de langage, putain !
J : Ah...
F : Oui. Tu n'as pas envie de faire comme Larrivière ce matin en classe.
J : C'est à dire ?
I : T'es pas au courant putain ? 
J : Non, mais avec lui/elle je m'attends à tout.
F : Au milieu de son cours, il/elle s'est immobilisé.e et il/elle a dit :
L : Bande de petites crevures !
F : Exactement et il/elle a ajouté :
L : Je vais tous vous buter. Un par un.
I : Voilà et...
I : Oh putain !
J : Ah tu étais là ?
K : Ça va ?
L : Ça va. Mieux. Ça va bien même. Je sais ce que je dois faire maintenant.
J : Prendre un café ?
L : Non.
J : Une sieste ?
L : Je viens d'ouvrir les yeux, ce n'est pas pour les refermer ; je laisse ça aux autres.
J : Rentre chez toi, pose-toi un peu et ça ira mieux demain.
L : Mais ça va bien je t'ai dit.
F : Tu n'as pas trop l'air...
L : Si si. J'ai une mission tu sais.
I : Oh putain...
L : Une mission sacrée !
J : Tu crois en dieu maintenant ?
L : Bien sûr que non. Je ne crois pas en dieu mais j'espère en l'Homme.
I : Putain, tu peux me la refaire celle-là ?
L : Regarde par cette fenêtre ; que vois-tu ?
I : Heu, le gymnase, la cours...
L : Et dans cette cours ?
I : Ben je sais pas putain. Les bancs, les platanes, le coin vélo...
L : Non ! Enfin, pas seulement ; c'est accessoire ça.
I : …
J : Les élèves ?
L : Oui : Les élèves, c'est ça. Regardez-les.
J, F et I regardent par la fenêtre puis se regardent.
L : Ce matin, j'étais en cours avec les 3ème C et tout d'un coup, je ne sais pas ce qui m'a pris, je les ai insultés. J'ai été pris par une sorte d'énorme remontée de mépris, de dégoût, de peur et de haine – et je les ai insultés. Menacés même. Qu'est-ce que je regrette...
J : Tu regrettes ?
L : Si tu savais comme je regrette !
J : C'est... C'est une bonne nouvelle.
I : Ah putain oui ! Tu nous as fait peur.
L : Comme je vous l'ai dit, tout est clair maintenant. Ça va mieux.
J : Tant mieux. Tu as vu la directrice ?
L : Oui.
F : Et ?...
L : Je lui ai expliqué et elle a parfaitement compris.
I : Surprenant de sa part putain.
J : Tant mieux, encore une fois.
L : Oui tant mieux. Tant mieux, tant mieux, tant mieux. Je vais pouvoir retrouver mes classes et m'excuser ; reprendre les cours afin de renouer le lien avec eux.
J : Dès cet après-midi ?
L : Oui, j'ai vu avec la directrice.
J : D'accord. Parfait alors.
I : Ah oui putain !
L : Et dès qu'ils seront en confiance, Bam ! Je les bousille ! Un par un..

 

Extrait 2

G : Je souffre.
H : Je sais.
G : Je souffre beaucoup.
H : Je sais.
G : J'ai vraiment, mais vraiment mal !
H : Je sais.
G : Mal. J'ai mal ; je suis mal, je suis souffrance, je suis douleur.
H : Je sais.
G : Je sais ! Super ! Tu sais, ça, ça m'aide. Je vais mieux tout d'un coup, incroyable. Je crois que j'ai compris que tu sais. Enfin que tu crois savoir. Mais moi je souffre je te dis. J'ai mal. Je vais exploser, imploser, me liquéfier, me solidifier, me briser, m'enflammer, spontanément, totalement, irrémédiablement.
H : Je sais.
G : Non ! Tu ne sais pas ! Tu ne sais pas, tu ne sais pas, tu ne sais pas ! Tais-toi ; juste tais-toi... J'ai mal... Je souffre... Je te dis que je souffre !
H : ….
G : J'ai un mal de chien enragé et toi tu ne me réponds même pas ?
H : Tu veux que je me taise ou pas ?
G : Heu...
H : Il faudrait savoir.
G : Mais... Mais... J'ai mal nom de nom. Tu peux comprendre ça ?
H : Oui oui, je sais.
G : Aaargh. Arrête avec ça ! Tu ne sais pas. Tu ne sais rien. Rien. Rien du tout. J'ai mal et je suis seul. C'est tout. Tout seul. Avec ma douleur.
H : Je s... Comprends.
G : Non tu ne comprends pas. Je pensais que tu pourrais comprendre, que tu serais la seule personne ici, au monde, même dans l'Univers, à pouvoir comprendre. Mais tu ne peux pas. Tu ne peux même pas imaginer un dixième de la peine qui me traverse ; qui me transperce, me renverse, m'endétresse, me casse, me blesse, me....
H : Ça n'existe pas.
G : Hein ?
H : Endétresse. Ça n'existe pas.
G : Heu oui et ?
H : C'est tout.
G : Je sais que ça n'existe pas. Ça m'est venu comme ça. J'ai pas réfléchi. Je ne suis pas en état. Et puis c'est clair quand même. Ça paraît exister comme verbe « endétresser ». Ça se comprend, non ? Et toi, tu viens me chicaner un mot alors que je suis en train de souffrir au delà du possible ? Et après tu me dis, « c'est tout » ?
H : En fait non.
G : Non... De quoi ?
H : En fait, ce n'est pas tout.
G : Ah ?
H : Tu dis que je ne sais pas, que je ne peux pas savoir ; et c'est faux. Voilà.
G : Voilà ?
H : Oui voilà. Maintenant c'est tout.
G : …
H : C'est important d'être précis je trouve.
G : Mais... Mais... Je...
H : Parce que là tu as mal c'est vrai. Mais tu peux encore parler ; raisonner, t'énerver même. Tu es vivant. Tu souffres certes, mais bientôt la peine prendra le chemin de l'oubli et deviendra une anecdote de fin de repas.
G : Qu'est-ce que tu racontes ?
H : La Vérité.
G : La vérité ?
H : Oui. J'ai connu la Douleur. Celle qui te coupe ta voix. Te vide complètement, t'arrache tous tes ongles d'un seul coup, t'éviscère, t'écartèle, te démembre. Et recommence. Indéfiniment. Et ce n'est rien par rapport à ta pauvre conscience qui hurle ou qui se tait, obstinément. Je connais cette souffrance  qui reste, qui s'incruste. Et toi ? Tu veux pleurer mais tu ne peux pas. Tu n'as plus de larme, plus de sueur, plus de sang même. Tu pleures à l'intérieur. Ça ne soulage pas mais c'est la seule chose que tu es encore capable de faire. Ça, ou mourir... Donc oui je connais et je te plains mais tu es vivant et tu te relèveras.